SE RELIER, SE METTRE EN MOUVEMENT, SE MOBILISER EN CONSCIENCE, AVEC COEUR ET AMOUR

PAR OÙ COMMENCER ?LettreÀ QUELQUES MILLIONS DE JEUNES TROTSKISTES D’UN JOUR

23 avril 2002

par Henri Guéguen

Avant-hier : vote d’impulsion pour un communiste. Hier : participation d’impulsion à une manif anti Le Pen. Après ça, quoi ? Honnêtement : être réactif juste le jour où les bornes sont dépassées, c’est tout de même pas très très actif, et pas très très sérieux… Pour sortir de la situation par le haut, faudra quelque chose d’un peu plus conséquent, …ou bien de plus modeste, allez savoir !

Et aujourd’hui : culpabiliser ? Puis demain : se rattraper en se jetant dans les premières activités politiques venues ? Par exemple, attendre d’un ex-candidat qu’il vous dise ce qui ne va pas et, en prime, comment changer les choses ? Misère ! Ce qui s’achève par à-coups en ce début de siècle, c’est un cycle mitterrandien : celui qui a vu la majorité des porteurs de valeurs que l’on dit de gauche tout attendre de a jusqu’à z d’un pouvoir délégué ; cette période a tout bonnement saigné le potentiel d’activité civile de la société. Mais s’achève aussi un cycle plus ample, vieux de deux siècles : celui où dominait la croyance qu’une convergence allait de soi entre l’intérêt public et les intérêts particuliers de dirigeants républicains – bien entendu sous les nobles couleurs bien françaises des droits de l’homme, de la démocratie, etc.. De grâce, rompons avec ces redoutables illusions ! Or, des jeunes ont le mérite d’avoir pris, avant les autres, leurs distances d’avec ces attitudes. Ce n’est donc pas pour eux le moment de revenir en arrière ! Mais ce fut pour – à ce jour, et du moins à ma connaissance – ne rien inventer qui mette davantage l’humain à l’abri de ses propensions à la domination et à la haine ; en regard de cette tâche incessante, les dénonciations d’un jour sont à peu près inopérantes.

Alors : comment aller plus loin ? En adhérant à l’une des organisations trotskistes ? ou à – que sais-je – Attac ? J’ai peur qu’en ces lieux les réponses précèdent les questions. Le vieux soixante-huitard non repenti que je suis a une perche à tendre, croit-il : faire de la politique, c’est d’abord s’occuper nous-mêmes de ce qui nous regarde. Et dieu sait si ce qui nous regarde est ample et varié. Or, je vois des jeunes en majorité faire où on leur dit de faire ; les plus avancés dans des études autant que les autres, si ce n’est davantage. Ils auraient donc rejeté l’idée d’un guide visiblement politique, mais pour se jeter dans les bras d’autres guides plus insidieux. Regarder cette situation en face conduit à envisager de tout reprendre à zéro. Non pas en priant pour une sixième république, ce qui n’a pas beaucoup de sens en soi. Mais en inventant, enfin, l’autonomie civile de la société.

On me dira : c’est Sisyphe, ça !

Ben oui, c’est Sisyphe, y a pas d’autre mot.
Et deux questions se posent.
Quand commencer ? Réponse : maintenant, comme hier, et comme demain.
Par où commencer ? A mon humble avis, par le Débat.

D’un côté, dans ce qui fait notre quotidien, tout est neuf, inconnu, incertain. De l’autre, cette société ne pratique jamais le débat qui permettrait d’y voir plus clair. On n’a même pas idée de comment s’y prendre pour ça ! Oh, certes, des débats, il nous est proposé d’en écouter à la pelle dans les médias. Oh, certes, il existe des réunions-débats et conférences-débats, mais s’il en est une sur cent qui mérite réellement le nom de débat, c’est bien le bout du monde. Idem des forums & co dans l’internet. Nous en sommes, à vrai dire, réduits à vivre dans une « démocratie » où nous-mêmes, jamais nous ne débattons publiquement et en face-à-face, y compris des sujets qui fâchent : y a tout de même là un indice grave ! Comment, dans ces conditions, s’étonner que ce quotidien fasse peur, de plus en plus peur, et qu’une partie des citoyens n’aspire qu’à se mettre la tête dans le sable, tandis qu’une autre a une préférence pour casser ce qu’il est possible de casser ? Chacun aura reconnu ici les ingrédients d’un cocktail devenu célèbre sous le nom d’ »insécurité », authentique problème si on le considère dans toute cette ampleur-là ; et problème qu’on ne fait qu’aggraver quand se vote, en guise de cache-sexe, une loi favorisant un supplément de contrôle de l’Etat sur les citoyens. Un pays connaît l’insécurité qu’il génère, lui, en tant que tel ; pas d’abord celle que génère telle ou telle de ses parties.

Or, les situations de crise – qualité non négligeable – sont propices à l’ouverture de nouveaux débats. Elles font ouvrir un peu plus grand les oreilles, car l’envie de s’exprimer est alors équilibrée par l’envie d’écouter, ô combien plus rare. « Putain, faut qu’on s’cause ! » tel était le message reçu hier d’un correspondant invitant son cercle de connaissances à se réunir. Oui mais, voilà : nous devons écouter aussi très au-delà de notre cercle de connaissances. Par exemple : j’aimerais écouter, et que s’écoutent, au cours d’une même séance, dans un même lieu, deux-trois électeurs non-racistes de Le Pen, deux-trois non encartés ayant préféré un candidat trotskiste, deux-trois votants blanc, deux-trois abstentionnistes, sans oublier deux-trois ayant opté pour celle pour qui j’ai personnellement voté, Taubira, et puis d’autres. Non pas des personnalités déjà rodées à la politique et aux tribunes, non : des gens comme vous et moi, qui auront préalablement préparé à fond leurs interventions ou y auront été aidés (bricoler serait la meilleure façon de faire capoter l’expérience).

Tout de même, en être réduits aujourd’hui à tendre l’oreille pour boire les propos de tel ou tel analyste du complexe Business/Etats/Medias nous expliquant doctement ce qui vient réellement de se passer dans ce pays, et puis ce qui va maintenant se passer, c’est un comble, après l’étalage d’incapacité dont on vient d’avoir la preuve. Diantre ! c’est en nous confrontant mutuellement que nous aurons, nous-mêmes, la réponse à ces questions ; certainement pas en nous en remettant aux pseudo-sachants.

Il est plus que certain que, si l’intention – que dis-je ? la ferme volonté ! – à long terme des organisateurs de telles rencontres (que je propose comme un début) est de re-fonder la République sur l’authentique Débat, il en jaillira des perspectives qu’aucune organisation déjà existante ne pourrait proposer efficacement ; tout simplement parce qu’aucune n’en a même la notion.

Hannah Arendt a évoqué la joie et la satisfaction qui naissent d’être en compagnie de nos pareils, d’agir ensemble et d’apparaître en public, de nous insérer dans le monde par la parole et par l’action, et ainsi d’acquérir et de soutenir notre identité personnelle, et de commencer quelque chose d’entièrement neuf.

Utopique, ça ? allons donc !

Henri Guéguen