Place au Libre |
Numériques, les créations se détachent de leurs supports matériels et échappent à l’obsession de la rentabilité financière. Images, musiques, algorithmes sillonnent la planète jour et nuit sur le réseau Internet. Et tandis que des armées de juristes planchent sur la manière de vendre les idées et de privatiser le savoir, que des techniciens pervertis imaginent de nouvelles chaînes pour tenter de les réduire en servitude, une rumeur s’élève : oui, glisse-t-elle à nos oreilles, ce savoir, ces idées devraient être le patrimoine de l’humanité, libres comme l’air, libres comme l’eau, libres comme la connaissance.
Initié par les logiciels, cet insaisissable mouvement du Libre s’étend aujourd’hui à l’ensemble des domaines de la production du savoir et de la création, de la musique à l’art, de la littérature à la vidéo…
Pendant que le format de compression MP3 et ses myriades d’indépendants font vaciller le pouvoir des géants de l’édition musicale, quelques figures de l’édition réclament le paiement du prêt en bibliothèque. Nous préférons le gamin bidouilleur à l’artiste en costard. L’explorateur de nouveaux collectifs à l’opportuniste de la stock option. GNU/Linux à Microsoft. Et pas seulement par romantisme. Question de prix, sans doute un peu, mais surtout de qualité, de perennité et de liberté.
Au-delà de la gratuité, peut-être même au-delà des valeurs de partage qui soudent cette communauté informelle, le Libre est fondé sur l’idée que, dans le domaine de l’immatériel, l’efficacité sociale, économique et culturelle ne peuvent procéder que de la libre circulation des savoirs et de la libre association des producteurs.Le Libre n’est pas qu’une belle utopie. En phase avec cette nouvelle ère de l’immatériel, il ne rejette en aucune façon la juste rétribution des créateurs. Il suppose simplement que cette rétribution peut s’exercer de mille façons, monétaires ou non monétaires, par la coopération et la
circulation de l’information, par l’échange de connaissances autant que par le paiement a posteriori. Mieux, en préférant la concurrence créatrice à la concurrence prédatrice, en refusant les notions de propriété exclusive et de stricte division du travail pour favoriser l’échange et la coopération, ces acteurs tissent les contours d’un nouveau mode de production. Une autre voie à creuser. A étudier. A vivre.
Là ou les tristes sires du vieux monde cherchent à sauver leurs privilèges par la mise en marchandises de nos moindres espaces de liberté, à perpétuer leur pouvoir, changeant l’abondance en pénurie, le mouvement du Libre veut dessiner peu à peu une nouvelle façon de vivre ensemble, une société de création sans oligarchies économiques ni frontières de castes culturelles ou politiques, sans distinctions autres que celles de la reconnaissance des pairs et de l’utilité commune.
N’en déplaise aux parangons de ce nouvel Eldorado du marché, la Net Economy est un leurre. Car sous ses tonitruants habits médiatiques se confondent les rêveurs réalistes qui cherchent à construire doucement une autre économie du monde et les opportunistes de toujours qui répètent inlassablement les pires déviations de nos systèmes entre les fils de la toile électronique.
Ouvrir le champs des possibles. Et susciter un débat qui puisse rassembler des gens de plume et de paroles, des ouvriers du réseau comme des patrons de l’électronique, des visiteurs en quête de sens comme des artistes en traque de spectateurs actifs, des individus de partout et de nulle part, de l’édition et de l’art contemporain, de l’enseignement et de la recherche, des circuits de l’entreprise et des territoires alternatifs, des univers de l’informatique et des paradis de la musique.
Freescape et la liste de diffusion [escape_l] sont nés d’une volonté de créer un espace transversal de réflexion et d’action ouvert à tous, un carrefour d’échange et d’information entre tous les acteurs du Libre d’hier et de demain, d’un instant ou d’une vie. Un phalanstère, une place de palabres autant qu’un bel observatoire, car notre propos est de réfléchir sans servir le moindre dogme, de vivre et non se survivre, de construire et non de subir.
Avec vous en toute liberté..